top of page

Un entretien avec Jean-Claude Reynal

(S.O. 19 avril 1970)

 

Je n’ai jamais fait de peinture et je n’ai jamais été attiré par la couleur. En revanche, j’ai toujours été sensible au graphisme des choses, à leur volume, à leur contour et à la puissance qu’elles dégagent.

 

Aux Beaux-Arts de Bordeaux, j’ai beaucoup aimé travailler dans l’atelier de Charazac mais je n’y allais qu’à mi-temps. Je réservais l’autre moitié de la journée à mes expériences personnelles. Quand j’ai senti que je pouvais franchir un palier, je suis parti pour Paris.
Après des expériences diverses, j’ai atterri chez Stanley William Hayter. Je devais y rester deux ans. Ce fut, pour moi, la période décisive. C’est difficile à expliquer. C’est le genre d’atelier où règne une atmosphère particulière. Les yeux s’ouvrent sur l’esthétique en général, et on y acquiert une conception plus ouverte des choses. Sur le plan pratique, on approche toutes les techniques. On peut ainsi choisir celle avec laquelle on communie le mieux. Pensez qu’on va de l’optique à l’étude des couleurs et par conséquent à leur utilisation.Le dynamisme des formes prend son plein sens. C’est logique : Hayter a d’abord été ingénieur. L’atelier est un milieu de recherches extraordinaires.

Le contexte international multiplie les ouvertures : chacun apporte sa sensibilité propre. Or, sur un atelier groupant 30 personnes, j’étais le seul français.

 

L’Amérique vous tentait déjà ?

Depuis longtemps, je voulais y partir mais c’était alors plus difficile, plus long qu’aujourd’hui pour obtenir une bourse d’autant qu’il n’existait pas encore de bourse française.

 

New-York ne vous a pas retenu ; vous avez préféré pousser jusqu’à San Fransisco ?

New-York ne m’attirait pas et, quand je l’ai connu, je me suis rendu compte que j’avais raison. La monstruosité me laisse insensible. Je rêvais de la côte Pacifique, de ses couleurs, de son espace. Il est impossible à un européen d’avoir la notion exacte de l’espace américain sans avoir vu l’Amérique. Tout y est multiplié, tout y est plus fort qu’ici.
Ce séjour a été aussi déterminant pour moi que mon passage chez Hayter même si je suis rentré au bout d’un an alors que j’avais la possibilité de demander une prolongation.
Paris et la France me manquaient pour des raisons d’atmosphère et de vie. A New-York, par exemple, l’activité artistique est prodigieuse. C’est Paris puissance mille. L’échelle humaine est inhumaine. C’est un monde exclusivement artificiel. Très beau par moments, surtout la nuit mais le contact avec la nature est pratiquement perdu.

 

De retour à Paris, j’ai retrouvé l’atelier d’Hayter mais mon travail avait changé. Je faisais des choses plus ouvertes et plus simplifiées, dues au changement d’habitude, de climat social, de civilisation.Je vous l’ai dit, ce séjour a été déterminant. Il m’a amené à éliminer presque inconsciemment les réminiscences d’école et d’atelier. En un mot, j’en avais fini avec mes exercices de style.

 

C’est à partir de ce moment que j’ai éprouvé le besoin d’utiliser les possibilités offertes par le relief du métal. Je me suis mis à la taille directe au grattoir, qui permet des incisions plus larges et plus profondes que le burin. C’est aussi à cette époque que j’ai connu Anne Breivik.
Anne Breivik rêvait de fonder, à Oslo, un atelier de gravure réunissant des artistes de nationalités et d’esthétiques différentes mais travaillant exclusivement le métal : cuivre ou zinc.

 

Je suis allé à l’Atelier Nord en 1965 et en 1968. J’y ai même réalisé avec mes camarades, à la demande du gouvernement, un film : La Ligne (Linjen), qui est régulièrement programmé dans les écoles et que le groupe projette aussi lors de ses expositions.

 

Quelle est votre préoccupation essentielle ?

Le relief. Mieux on l’utilise, mieux on l’exploite, plus la profondeur s’accuse. On ne doit jamais perdre de vue les contingences techniques lorsqu’on cherche à tirer le maximum de relief de la feuille de vélin hollandais particulièrement blanc et d’une tenue, d’une légereté qui conviennent à la main de l’artiste. Par ailleurs, je ne sors pas des couleurs primaires : jaune, vermillon, bleu, turquoise, que j’utilise dans leur maximum d’intensité, de force et de dynamisme.

 

Ce dynamisme, comment l’obtenez-vous ?

En créant une forme colorée, limitée dans sa surface mais qui, par sa situation dans l’ensemble, dégage une énergie à laquelle on ne s’attend généralement pas.

bottom of page